mardi 18 mars 2014

LES BÉLUGAS DU SAINT-LAURENT ET LES SOFAS ONT QUELQUE CHOSE EN COMMUN

LES RETARDATEURS DE FLAMME

    Daniel Martineau, professeur de pathologie, 

     Faculté de médecine vétérinaire, Université de Montréal.


« Le nouveau propriétaire d’un sofa s’inquiète parce que son achat contient des retardateurs de flamme» titrait un reportage de l’émission La Facture (Radio-Canada) mardi dernier 11 mars 2014 diffusé à l'émission La Facture de même qu' au Téléjournal. J’ai travaillé sur la santé et les contaminants des bélugas et des poissons du Saint-Laurent : mes collaborateurs de Pêches et Océans Canada ont découvert que les bélugas du Saint-Laurent contiennent des PBDEs, des composés ignifuges (« retardateurs de flamme »). Les bélugas et les poissons ont en gros la même biologie que nous, particulièrement le béluga, parce que comme les humains, le béluga est un mammifère, et comme beaucoup de Nord-Américains, c'est un mammifère gras, placé au sommet de la chaîne alimentaire. Il vit aussi longtemps que nous et la femelle béluga porte et allaite son petit à peu près aussi longtemps que la femme. Comme la femme, la femelle béluga transfère à son petit une bonne partie de ses contaminants chaque fois qu’elle allaite. À cause de ces ressemblances, les bélugas et les poissons sont affectés à peu près de la même façon que nous par les virus, les bactéries et les contaminants. De plus, tout ce que nous déposons sur terre – incluant les composés chimiques synthétiques résistants, comme les PBDEs, ces composés ignifuges - finit invariablement, tôt ou tard dans les cours d’eau et dans les tissus des animaux qui habitent là. Ainsi, les bélugas et les poissons sont véritablement  des sentinelles de l’environnement, selon le concept « Une santé une médecine » adopté maintenant par plusieurs facultés vétérinaires, américaines et canadiennes. En étudiant les maladies et les contaminants des bélugas et des poissons du Saint-Laurent, notre plan était simple : nous publierions les résultats dans des revues scientifiques puis nous les communiquerions au public dans les médias; ensuite les autorités interdiraient ces contaminants et nous aurions ainsi contribué positivement à la santé publique. Les premiers objectifs ont été atteints, pas les derniers. En effet, les toxicologistes de Pêches et Océans Canada avec qui nous collaborons et qui ont trouvé dans les bélugas du Saint-Laurent des PBDEs, des composés ignifuges, dans la même famille que ceux contenus en quantité non négligeable (jusqu’à 1 kg dans un seul sofa dans les années 70s) dans le sofa du monsieur inquiet. En fait, la concentration de PBDEs augmentait exponentiellement dans les tissus des bélugas du Saint-Laurent entre 1988 et 1999 et les auteurs du rapport (publié en 2004), des toxicologistes à Pêches et Océans Canada, lançaient l’avertissement suivant « cette étude confirme que la contamination des habitats aquatiques du Canada par les PBDEs résulte de l’usage croissant de ces composés comme retardateurs de feu ». Peu après, Peter Ross  Peter Ross, toxicologiste à P. et O. Canada en Colombie-Britannique et expert reconnu internationalement dans ce domaine, rapportait que les orques épaulards de cette région montraient des concentrations de PBDE si élevées qu’ils étaient littéralement … à l’épreuve du feu (« fireproof killer whales »). C’est à ce point-ci que notre plan initial a dérapé: Ross, un expert reconnu internationalement, s’est fait licencier par P. et O. Canada en 2012; en même temps,  tous  les toxicologistes à l‘emploi de P. et O. Canada recevaient une lettre de leur employeur, le gouvernement fédéral canadien: ou ils étaient licenciés ou ils s’engageaient à changer leur champ d’activité. Le résultat final est que ce ne sont pas les composés ignifuges qui ont été interdits par le gouvernement fédéral au Canada, à leur pl ace, c’est la recherche en contamination de l’environnement qui a été proscrite. Le dernier toxicologiste a quitté Pêches et Océans Canada en avril 2014.